Rédigé par le comité technique du DÉI.
Dégager des économies d’énergie en implantant des mesures d’efficacité énergétique peut parfois devenir un vrai casse-tête dans le contexte d’un bâtiment avec locataires. En principe, le locataire peut mettre en place des mesures d’efficacité énergétique, mais ces initiatives émanent plus souvent du propriétaire locateur. Or, sachant que dans la majorité des baux commerciaux, les coûts d’énergie sont transférés aux locataires, comment s’assurer que les bénéfices des mesures d’efficacité énergétique reviennent à l’investisseur qui les a implantées? L’une des méthodes consiste à procéder par mesurage avant/après pour quantifier les économies et permettre au propriétaire de se les attribuer par le biais d’une clause au bail à cet effet. Toutefois, il convient de rappeler certains principes relatifs au sous-mesurage, qui peut s’avérer un défi complexe.
Rappel du cadre règlementaire entourant la répartition des frais d’énergie
Au Québec, la fourniture, le transport et la distribution d’électricité et du gaz naturel sont réglementés par la loi sur la Régie de l’énergie (RLRQ, c. R-6.01). Cette loi interdit la revente d’électricité et de gaz naturel sur le territoire d’un titulaire d’un droit exclusif de distribution. Hydro-Québec, tout comme les réseaux municipaux et les redistributeurs privés autorisés, possède donc le droit exclusif de vente d’électricité sur son territoire. En vertu de cette loi, un propriétaire de bâtiment ne doit pas facturer l’énergie à ses locataires avec un bénéfice (ou avec des frais d’administration) même si la portion de l’énergie consommée par le locataire est mesurée.
Par contre, un propriétaire peut établir une procédure de répartition des frais d’énergie avec les locataires selon une entente au contrat de location. Par exemple, il est possible de répartir les frais d’énergie avec les locataires au prorata de leur surface occupée ou en fonction de la consommation réelle, avec un sous-mesurage adéquat. En outre, selon le tarif en vigueur, certains propriétaires sont facturés pour leur pointe électrique mensuelle en plus de leur consommation. Il arrive donc parfois que la procédure doive inclure une forme de répartition des frais pour la pointe. En de telles conditions, la pointe et le facteur de puissance des locataires doivent aussi être mesurés. Cette procédure est encore plus complexe à mettre en place de façon équitable puisque l’impact réel de l’appel de puissance d’un locataire ou de son facteur de puissance est difficile à évaluer en relation avec la pointe et le facteur de puissance global du bâtiment.
En outre, le mesurage d’électricité pour facturation à des clients doit être effectué conformément aux exigences de Mesures Canada. Ces exigences sont décrites dans la Loi sur l’inspection de l’électricité et du gaz (L.R.C, ch. E-4) et dans le Règlement sur l’inspection de l’électricité et du gaz (DORS/86-131). Entre autres, ces exigences stipulent que:
- Le propriétaire doit obligatoirement être titulaire d’un certificat d’enregistrement délivré par Mesures Canada s’il veut vendre de l’électricité en se basant sur des mesures.
- Le propriétaire est obligé de tenir des dossiers détaillés pour chaque compteur utilisé pour la facturation.
- Tous les compteurs de facturation doivent être approuvés par Mesures Canada.
- Tous les compteurs de facturation doivent être vérifiés et scellés avant la mise en service. La vérification doit être effectuée conformément à la Loi.
- Le propriétaire est tenu de faire parvenir par écrit à Mesures Canada un avis lors de l’activation d’un système de mesurage pour facturation.
Pour éviter d’être assujettis à ces règles strictes imposées par la règlementation, les propriétaires désirant mettre en place une procédure de répartition des frais d’énergie doivent pouvoir attester que la procédure n’en est pas une de revente, mais bel et bien de répartition. Dans ce cas, la somme des sous-mesurages ne doit en aucune circonstance excéder la facture du distributeur.
Dans le contexte du Défi, quelle approche est la plus pertinente pour les participants?
Avantages/inconvénients des compteurs individuels et sous-compteurs
Le sous-mesurage est un moyen pertinent et efficace pour déterminer les économies d’énergie et permettre de rediriger ces économies au bénéfice de l’investisseur qui réalise les mesures d’amélioration. Par contre, implanter un système de sous-mesurage pour ses locataires dans un bâtiment existant est un exercice coûteux et parfois impossible pour le propriétaire si le réseau de distribution n’a pas été conçu pour ce faire. Que ce soit pour un bâtiment existant ou pour un bâtiment neuf, les propriétaires et constructeurs se demandent souvent s’il est préférable d’installer un compteur commun (avec ou sans système de sous mesurage ou des compteurs locataires indépendants). Dans le cadre du Défi, voici quelques pistes de réflexion.
Désavantages du compteur locataire individuel :
- Coût élevé et installation complexe si le nombre de locataires est important.
- Les compteurs individuels n’éliminent pas la nécessité d’avoir un compteur pour les aires communes du bâtiment : corridors, vestibules, sous-sol, stationnement.
- Typiquement, s’il y a des compteurs individuels, les propriétaires vont avoir tendance à décentraliser les systèmes électromécaniques en choisissant des équipements individuels raccordés chez chaque locataire (chauffe-eau, climatisation, ventilation). Le potentiel de mettre en place des concepts efficaces est souvent plus limité lorsqu’on décentralise et dissocie les systèmes électromécaniques les uns des autres. De plus, le propriétaire a alors peu d’intérêt à participer dans la démarche.
- Dans le cas du multirésidentiel, si chaque unité possède un compteur d’Hydro-Québec, le tarif applicable aux logements sera le tarif D (excluant les aires communes). Un client sur ce tarif résidentiel n’est pas admissible aux subventions d’Hydro-Québec programme Solutions Efficaces (programme qui subventionne l’implantation de mesures d’efficacité énergétique). En regroupant la consommation du bâtiment complet sur un seul compteur, le tarif applicable sera de type affaires (typiquement DM, DP, G ou M), ce qui est admissible au programme Solutions Efficaces.
Avantages du compteur locataire individuel :
- Si le compteur individuel est un compteur de sous-mesurage géré par le propriétaire : la répartition des frais d’énergie est souvent plus précise et mieux documentée. Le sous-mesurage s’il est bien fait, permet une répartition plus équitable.
- Le compteur individuel permet ultérieurement de quantifier les économies générées par des mesures d’efficacité énergétique et d’en faire profiter l’entité (propriétaire ou locataire) qui réalise les investissements.
- Si le compteur individuel est un compteur d’Hydro-Québec : moins de gestion des frais d’énergie pour le propriétaire.
- Le locataire est entièrement responsable de sa facturation d’énergie, donc potentiellement plus sensibilisé à réduire sa consommation volontairement.
Au final, plusieurs bâtiments disposent d’un mélange des deux types de mesurage. Par exemple, on retrouve parfois un mesurage hybride; les systèmes électriques d’éclairage et de charge aux prises étant mesurés individuellement par locataire et les systèmes mécaniques communs étant mesurés sur le compteur global.
Dans un tel cas, un spécialiste en mesurage et vérification peut aider à mettre en place la méthode de répartition des frais en s’appuyant à la fois sur le mesurage individuel et sur des calculs complémentaires pour départager le mesurage commun.
Bonne réflexion.